Par Bernard Rossi et JCBT
La réponse à la devinette du 26 novembre
Dans notre dernier article, nous avions proposé à nos lecteurs une devinette : laquelle des deux photos ci-dessous avait été prise avec un smartphone ?
Réponse : L’image de gauche (A) a été produite par un hybride Sony Alpha 7R III (plein format de 42,4 MP, environ 3 000 € sans objectif) et celle de droite (B) par un Google Pixel 3 (12,2 MP avec fusion d’images, environ 300 €). Ce résultat n’est-il pas étonnant ? N’est-ce pas une confirmation évidente de l’importance du traitement logiciel embarqué dans les smartphones modernes ?
D’où les questions : qu’en est-il des caractéristiques photo en 2020 de ces deux types d’appareils ? Comment peut-on anticiper les évolutions à venir ?
Les caractéristiques photo actuelles des smartphones photo et des APN
En octobre 2013, le président du Club Photoshop Paris, Philippe Chaudré, avait apporté à notre réunion mensuelle une dizaine de 30 x 40 pour lesquels il avait eu quelques difficultés à convaincre l’assistance qu’il s’agissait bien d’images prises avec son smartphone, à savoir son vénérable Nokia N8-00, un 12 MP équipé d’un Zeiss Tessar équivalent 28 mm ouvrant à f/2,8. Les tirages étaient incontestablement très beaux ; il était impossible de détecter quel avait été l’appareil photo utilisé ; et pourtant l’avis général dans la salle était que ce genre d’appareil de prise de vue n’était vraiment pas fait pour des pros ou des passionnés d’images, malgré les campagnes publicitaires de Nokia à l’époque (cf. ci-dessous).
Depuis 2013 beaucoup d’eau a coulé sous les ponts des fabricants de boîtiers numériques, qui ont continué à travailler principalement sur les aspects hardware en vue d’obtenir les RAW les plus précis (capteurs, objectifs …), les vitesses les plus performantes (autofocus, buffer…), ainsi que l’enregistrement en vidéo (hybrides…). Pendant ce temps-là, les fabricants de téléphones mobiles, ayant constaté l’engouement de leurs clients pour les smartphones photo et vidéo, se sont mis à investir dans la recherche et le développement, à la fois dans le hardware et dans le software, car ce dernier leur permettait de corriger automatiquement les défauts inhérents à une miniaturisation poussée et intégrait une grande partie du travail de post production souvent nécessaire avec les boîtiers pros.
C’est ainsi que cette nouvelle concurrence des grandes marques de la photo fut d’abord fatale aux compacts et aux camescopes, dont les ventes s’écroulèrent très rapidement.
Mais ce n’était pas la fin de l’histoire, car depuis plus récemment, les smartphones attirent beaucoup de vidéastes et de photographes très exigeants en termes de qualités techniques d’image. Il est patent que ceux-ci utilisent maintenant régulièrement des smartphones, non pas (pas encore ?) à la place de leurs caméras ou boîtiers pros, mais en complément de ceux-ci, afin d’être en mesure de profiter de certaines caractéristiques propres aux smartphones : bien évidemment le faible encombrement, la facilité de mise en œuvre et leurs capacités de communication instantanées, mais aussi la possibilité d’obtenir de grandes ouvertures grâce à la proximité du capteur et de l’objectif, une intégration dans un seul boîtier de plusieurs objectifs, chacun ayant son capteur dédié avec des caractéristiques adaptées à leur focale, des facteurs de zoom plus confortables, la fusion d’images pour réduire le bruit numérique et même depuis cette année l’intégration de la technologie Lidar pour une meilleure mise au point automatique en faible lumière (Apple 12 Pro Max).
En cette fin de 2020, on peut donc estimer que la situation est assez équilibrée : les smartphones ne peuvent pas prétendre à avoir certaines caractéristiques des boîtiers pros et vice versa (voir graphique ci-dessous). C’est ce qui explique l’usage de plus en plus fréquent de smartphones grand public pour un travail professionnel en complément des appareils habituels : cf. ci-dessus à gauche une publicité de Profoto pour un flash connecté en bluetooth au smartphone ; cela explique aussi que France Televisions ait décidé de créer 200 UTS (unité de tournage smartphone), en complément des moyens de tournage habituels (cf. ci-dessus à droite l’article de videonline.info).
Malheureusement, malgré le déferlement d’articles sur Internet sur les caractéristiques du smartphone dernier cri, il est rare de disposer d’une analyse qui porte sur les deux mondes et tente de répondre aux deux questions suivantes : dans quels domaines les smartphones sont-ils devenus plus performants que les boîtiers pros et dans quels autres ces derniers gardent des performances supérieures. C’est à ce travail que DxO s’est attelé en présentant une étude très intéressante de Frédéric Guichard, son directeur général et directeur technique, au cours de l’Electronic Imaging 2020 (janvier 2020 en Californie). On trouvera plus bas les liens vers cette présentation, qui pour une raison assez étrange, n’a pas connu en France la diffusion qu’elle mérite toujours aujourd’hui, presque un an après.
Nous incitons vivement nos lecteurs à prendre connaissance de cette présentation. Dans ce but, nous reproduisons ici un de ses graphiques, qui illustre le fait qu’alors que l’appareil photo plein cadre Panasonic avec son capteur 47,3MP et son objectif Leica APO-Summicron-SL 35 mm choisi pour le test l’emporte sur la préservation des détails et du téléobjectif, les flagship d’Apple et de Huawei de leurs côtés offrent des performances globales impressionnantes, et sont en fait égaux ou supérieurs au reflex numérique en précision d’exposition, rendu des couleurs, mise au point automatique et faible bruit. (Image: DxO Mark)
En conclusion, nous avons vu dans notre article du 26 novembre que les fabricants de smartphones continuent à beaucoup investir dans les appareils photo qu’ils intègrent dans leurs téléphones mobiles, ce qui leur permet d’une année à la suivante de proposer des performances incontestablement meilleures. Pendant ce temps, les fabricants de caméras et de boîtiers pros, n’ayant pas les mêmes capacités d’investissement et de recherche des géants économiques que sont Apple ou Huawei, ne proposent des évolutions de leurs modèles de haut de gamme que tous les trois à cinq ans. On peut donc craindre qu’ils ne deviennent dépassés technologiquement et que toutes les caractéristiques aujourd’hui réservées aux boîtiers et caméras pros ne se retrouvent un jour plus ou moins lointain dans les smartphones.
Ce qu’on peut alors anticiper, c’est donc qu’à cet horizon de plus en plus de professionnels photo et vidéo se poseront la question suivante : dois-je continuer à utiliser des boîtiers et des caméras pros, plus gros, plus lourds, beaucoup plus chers et incapables de communiquer simplement, uniquement parce que cela fait sérieux vis-à-vis de mes clients ?
Au siècle dernier les photographes de mariage ont longtemps considéré que seule la prise vue à la chambre leur permettait de vendre leurs portraits et reportages. On a vu ce qu’il en est advenu de nos jours où le reportage vidéo est de plus en plus indispensable en complément de la vente de photos, elles-mêmes exigées de plus en plus rapidement. Et cette évolution de la demande ne concerne pas seulement les mariages.
Et au fond, n’est-ce pas mieux ainsi ? Ce qui compte in fine, ce n’est pas le matériel de prise de vue, mais l’œil et le talent du photographe !
N’hésitez pas à commenter ci-dessous.
Pour en savoir plus :
– La présentation (en anglais) de Frédéric Guichard sur le site de DxO (environ 30 min de lecture)
– La traduction en français de cette présentation (pdf de 29 pages)
– La page LinkedIn de Frédéric Guichard